La situation est grave.
La situation est grave. Je ne parle pas de la crise financière et des malheureux traders et nouveaux Madoff dont on nous rebat les oreilles au journal télévisé. Je ne parle pas non plus de la Société générale, qui vient d’annoncer qu’elle doublait ses profits malgré la crise. Je parle de la crise sociale, dont la réalité explose en France et dans le monde entier.
Oui, la crise est mondiale. La Grèce avait réagi la première : les jeunes dans les rues d’Athènes avaient révélé bien plus qu’un malaise étudiant. Des mouvements identiques ont suivi en Italie et en Espagne. L’Islande, qui ne fait jamais parler d’elle, est en butte à des émeutes. 10 000 manifestants se retrouvent à Riga contre l’augmentation du chômage de 1 % en un mois. En Bulgarie, en Pologne, à Prague ou à Vienne, on ne croit plus au miracle européiste et on commence à le dire. En Grande-Bretagne, les salariés font grève pour « produire britannique ». Et dans le monde entier, la crise sociale s’amplifie : des Etats-Unis, où l’on s’attend à ce que dix millions de travailleurs basculent prochainement dans l’extrême pauvreté, à la Chine, où les vingt millions de migrants de l’intérieur, sans emploi ni aucune allocation chômage, n’ont tellement plus rien à perdre qu’ils osent braver la rigueur du régime.
En France métropolitaine, les chiffres du chômage explosent : entre 500 et 1 500 nouveaux chômeurs par jour, avec les délocalisations qui s’accélèrent, les milliards donnés aux grands patrons sans aucune contrepartie : on leur demande d’être « raisonnables » dans leurs rémunérations mais pas de revenir sur les licenciements prévus ou de réinvestir en France. Ca, ça ne serait pas raisonnable !
Pendant ce temps-là, le pays part en morceaux : l’automobile, l’immobilier, la sidérurgie, et même les secteurs de la vente : le Nord va encore être cruellement touché avec les baisses d’activité de La Redoute et des 3 Suisses. Avec les profs, les étudiants, les chercheurs, c’est l’avenir qui appelle au secours et il ne reçoit en retour que provocation et mépris affiché de Sarkozy. Après s’en être pris aux malades par les franchises médicales et le déremboursement des médicaments, le gouvernement s’en prend aux soignants, à travers le projet Bachelot, qui étrangle l’hôpital public au point de mettre dans la rue même les médecins de droite !
Les départements des Antilles sont en situation insurrectionnelle. Après plus d’un mois en Guadeloupe et une dizaine de jours en Martinique, les organisations syndicales, et en particulier le LKP, n’en peuvent plus face à un gouvernement irresponsable qui laisse pourrir la situation dans des îles où perdure une économie de type colonial. Le drame est à portée de main. Faudra-t-il d’autres morts pour que le gouvernement réagisse et impose de vraies négociations au patronat, et de répondre autrement que Laurence Parisot, qui n’a pas manqué d’y demander moins de charges sociales ?
Sarkozy, cela a d’abord été un formidable mensonge, puis la tchatche et le bling-bling. Aujourd’hui, ce n’est plus que l’arrogance des nantis face à la misère et l’insécurité sociale qui se généralisent et gangrènent la société. Il ne fait plus rire personne. Le donneur de leçons exaspère des salariés désabusés dont on se demande, au vu des événements antillais, ce qui les retient encore de basculer dans la violence.
Oui, la situation est grave. La lutte des classes s’amplifie : les salariés, floués depuis plusieurs décennies exigent une plus juste répartition des richesses tandis que le gouvernement s’emploie à perpétuer le système. Oui, la France se désagrège. L’heure devrait être au sursaut. Relancer l’économie, réindustrialiser notre pays, aménager notre territoire, utiliser les services publics et leur donner les moyens d’agir, redresser l’enseignement public, penser l’avenir : celui des citoyens comme (et non contre) celui de la planète, voila ce qui devrait préoccuper nos politiques.
Au contraire, la plupart semble hors du temps, occupés à des querelles intestines, guettant un siège inutile à Strasbourg, critiquant – mollement – le libéralisme de Sarkozy mais signant le « manifesto » du PSE, qui reprend toutes les antiennes libérales de Bruxelles. Comment peut-on prétendre vouloir changer la vie avec toutes les recettes éculées de l’adversaire ? Et qui viennent d’exploser en vol aux yeux de tous, et en particulier… des électeurs !
Au milieu de cette désespérance, une petite lumière : la volonté d’un certain nombre de créer un « front de gauche » mettant le social au cœur de ses préoccupations.
Il ne s’agit pas de regarder ce front comme l’alpha et l’oméga. Simplement comme une possibilité de s’adresser aux Français qui ont refusé le libéralisme européen en juin 2005. Simplement comme un premier pas dans la probable longue marche de reconstruction d’une gauche politique qui, à la fois, s’appuiera sur et redonnera un espoir à la gauche sociale. Simplement, au milieu des arrivistes, des électoralistes, des donneurs de leçons, des « modernistes » pour lesquels la gauche est ringarde, peut-être un outil à construire ensemble pour redonner un espoir à ceux qui veulent rester debout